Transoxiane 2002

Passage du
No Man's Land

 

On peut dorénavant dire sans exagérer que "comme d'habitude" nous avons mis notre réveil à 5h30, pour monter au minaret Kalian avec Régis, minaret qui est le plus haut d'Ouzbékistan. Ce minaret en forme de phare au décors sobre sans céramiques est entièrement en briques. Celles-ci sont disposées en bandeaux décoratifs circulaires, dont la largeur et le motif étaient réalisé en fonction de la générosité et des goûts des mécènes. Au sommet, un feu était entretenu toutes les nuits pour guider les caravanes venant du désert vers l'oasis-étape de Boukhara. Ce matin nous voulions assister au lever de soleil sur la ville, avant de quitter le pays. Nous avons dû réveiller le garde qui dormait dans l'entrée de la mosquée avant de pouvoir y monter. Celui-ci tut embrumé de sommeil n'a pas perdu pas le Nord et nous a marmotté le tarif du bagshish sous sa couverture... Les derniers élèves de la médersa Mir-i-Arab étaient en train de regagner leurs cellules d'étude après la prière du matin. Cloitrés toute la journée, ils ne devaient pas avoir l'habitude de voir des visiteurs dans la mosquée à cette heure matinale... et se sont empressés de sortir en riant. Ils ont ensuite nettoyé à grande eau les abords des bâtiments dans la lumière encore grise alors que nous rentrions dans la tour par le petit pont la reliant depuis le toit de la mosquée. Une fois au sommet après une raide ascencion, nous avons contempler la ville qui s'éveillait. La vue à 360 degrés sur tous les petits détails de la vie qui démarrait était unique. Personne ne nous voyait, nous voyions tout, et entendions presque tout. Le soleil rouge s'est levé lentement sur les 365 coupoles de la mosquée et a coloré petit à petit les monuments.

Nous sommes rentrés pour déjeuner et dire adieu aux guêpes, puis sommes partis pour la frontière qui est à 100km au sud. Après moultes formalités durant lesquelles nous avons dû présenter nos passeports à 6 reprises rien que côté Ouzbek, encadrés de gardes dont l'amabilité était inversement proportionnelle à la quantité de leur armement, nous avons quitté le pays et nos guides, que nous espérions retrouver quelques jours plus tard. Ce fut alors la traversé du kilomètre et demi du No Man's Land écrasé de soleil et sans arbres, survolé à deux reprises par un hélicoptère militaire Mi-8 en robe sable. A l'arrivée du côté Turkmène, la cahute de garde contrastait avec les grands bâtiments presque modernes du côté Ouzbek. Plein de gens attendaient là avec leurs enfants, cabas, cartons, des semi-remorques de toutes sortes et de toutes époques stationnaient, venant du Kazakhstan, de Russie, d'Iran, du Pakistan, et attendaient tous en ligne. Heureusement une porte s'est ouverte, et notre guide local "Artyk" nous a souhaité la bienvenue. Les formalités ont pris du temps mais il s'est chargé de tout avec Régis, nous donnant loisir d'observer la vie et les coutumes dans ce poste frontière poussiéreux et antédiluvient éloigné de tout, à Farab, au milieu de nulle part.

Puis nous avons grimpé dans un minivan japonais dont le tableau de bord et le volant avaient artisanalement été remis à gauche (c'est la loi, et au japon on roule comme en Angleterre). Le chauffeur maussade et taciturne nous a emmené tous le long des routes poussiéreuses, écrasées de soleil, sans arbres ni personne marchant sur les bas-côtés, sous le ciel de plomb fondu. C'était bien triste par rapport à "l'autre côté"... où il y avait toujours hommes, femmes, enfants, carioles vélos et menus magasins sans discontinuer le long des routes ombragées et irriguées! Après quelques temps nous sommes arrivés sur le gigantesque ponton traversant tant bien que mal le fleuve Amou Daria qui marque approximativement la frontière entre le nord du Turkménistan et de l'Afghanistan, et le sud de l'Ouzbékistan. Au nord de l'Ouzbékistan, c'est la Syr Daria qui fait frontière avec le Kazakhstan, que nous avons traversée en venant de Tashkent, et qui se jette dans le lac Aïdar Köl. Nous avons vu au loin un gigantesque pont de chemin de fer enjambant la rivière, des dragues fumantes et des bulldozers qui dégagaient le cours du fleuve alors très bas, car canalisé de partout pour l'irrigation. L'Amou Daria allait jusqu'à la mer d'Aral, mais aujourd'hui il n'y arrive plus. Le ponton sur lequel nous passons est posé sur le fond du fleuve plus qu'il ne flotte, et est donc très irrégulier, avec des morceaux plus hauts que d'autres, des creux, des bosses, des trous dans les caissons rouillés.

L'une de marches entre deux pontons fut fatale à notre véhicule qui a cassé à grand bruit quelque chose sous le chassis. Après le point de contrôle de la sortie du ponton, nous n'avons plus pu démarrer. Un soldat nous a dit de dégager, et nous avons poussé l'engin qui a redémarré en pétaradant. Nous sommes arrivés de justesse à Turkmenabad (qui s'appelait Chardjou il y a quelques jours encore!) où notre véhicule a rendu l'âme dans un virage. Nous sommes alorsdescendus, et notre guide est parti nous promettant de ramener un autre véhicule. Le chauffeur maussade nous a abandonné pour aller téléphoner. Nous nous sommes donc retrouvés tous les 4 au bord de la route, en panne au milieu d'une ville industrielle perdue dans l'immense désert d'un pays inconnu. Mais Artyk a tenu sa promesse et est arrivé avec deux voitures flambantes neuves ou presque, une belle voiture nippone aux vitres teintées et au tableau de bord inversé à la main, et une lada dernier modèle avec air conditionné et air moderne!

Notre guide a abandonné le chauffeur maussade sans scrupules ni au-revoir, et nous sommes partis déjeuner. Nous étions seuls dans le resto entier avec une serveuse et de la musique à fond. Nous avons mangé de la nourriture de cantine, et en dessert avons eu un cookie à la crème à raser fluo, jaune ou rose au choix. Puis nous sommes repartis avec nos deux pilotes qui ont roulé pendant 2h à plus de 150km/h sur les routes défoncées traversant le désert. Le notre fera une pointe pour dépasser la voiture d'Olivier et d'Etienne: leur compteur à eux marchait, il indiquait 180 km/h, le notre était en panne... mais on les a vite doublés, et sans ceintures!

Nous avons quitté sans regrets Turkmenabad et son décors apocalyptique d'usines chimiques et de complexes industriels fumants au milieu du désert, avec la population mourant de faim parquée dans des barres d'immeubles en ruine sous des pylones haute-tension. De toute façon on ne voyait personne dehors, que des pancartes géantes louant le Président Dictateur Général: Saparmurad Nyiazov Turkmenbashi (qui s'écrit Turkmenba$y en V.O.), représentant son effigie dorée. Nous passions par des points de contrôle tous les 50km à plus ou moins grande vitesse. Nous avons longé des colonies établies contre les dunes du désert et écrasées de lumière aveuglante. Les quelques gens que nous voyions étaient entièrement couverts pour se protéger de la chaleur, seuls leurs yeux passaient à travers leurs foulards. Les Ouzbeks eux ne semblaient pas craindre la chaleur et restaient même nu-tête dans les champs en plein cagnard. C'était la première fois que je voyais celà, car en général dans les pays chauds les touristes sont les seuls à chercher le soleil! Ici aussi au milieu de nulle part, les soviets ont jugé bon de placer de beaux arrêts de bus en béton!

Nous avons visité Merv, ancienne capitale du pays Margouj le long du fleuve Mourgab. Les vestiges de la ville étaient tellement vieux qu'ils se sont transformées en montagnes. Dans ce pays on ne voyait plus comme en Ouzbékistan de l'architecture vieille de 500 ou 1000 an, mais de l'archéologie vieille de 1000 ou 5000! Ce n'étaient plus quelques touristes qui fréquentaient ces lieux mais plutot des troupeaux de moutons. La vieille Merv remonte de -2500 à -7000 ans! Nous avons visité les murailles où Etienne s'est cassé la figure, avons ramassé quelques tessons de poteries datant de Mathusalem. Nous avons rencontré un archéologue russo-britannique perdu seul au fond de son trou en train de creuser, qui s'est arrêté pour nous expliquer son métier et nous décrire les fouilles pendant une demi-heure. Puis il est redescendu pour creuser, et nous sommes partis pour aller voir le grand mausolée du Sultan Sanjar, perdu au coeur du désert et en cours de reconstruction. Les deux dôme imbriqués mesurent 56m de haut, et se voient à des kilomètres à la ronde. Enfin, nous avons visité un petit mausolée tenu par un vieil ermite et son chien, près d'un ancien réservoire à pluie alimentant en eau les caravannes toute l'année. Puis nous sommes allés visiter la maison glacière de forme conique au milieu des champs. La nuit tombait, l'odeur de choux était bonne dans la fraîcheur du soir au milieu des champs irrigués et de la brume montant du petit canal. Dans cette maison glacière, on consevait la neige de l'hiver pendant deux saisons! Le sol n'était pas de terre mais de poussière, se soulevant en volutes étouffantes à chaque pas.

Enfin, nous avons fait route jusqu'à Mary où nous avons débarqué dans un hôtel soviétique, dans le quel nous étions les seuls résidents. Nous y avons découvert une chambre top kitsch avec vue sur les silos et la gare de triage, et des sanitaires inénarables, bien pires que ceux du B&B de Boukhara, qui nous ont repoussé les limites de nos connaissance un peu plus loin. En deux mots, ils étaient Bilalesques! Les carrelage était tellement mal posé, que Régis a suggéré que la méthode de la Révolution Culturelle chinoise consistant à envoyer les intellectuels aux champs avait été appliquée ici, avec sans doute un grand écrivain ayant été forcé de poser les carrreaux... Ici tout comme à Boukhara, il est possible de prendre une douche tout en étant assis sur la cuvette innommable des WC et en se brossant les dents au dessus du lavabo en même temps. Après nous être posés, nous sommes repartis en ville où nos chauffeurs nous ont emmené au restaurant pour touristes. Encore une fois nous étions seuls avec de la musique et une serveuse blonde... complètement décallée. Enfin retour à travers les rues brillamment illuminées mais complètement vides, mis à part quelques patrouilles de soldats passant entre les fontaines multicolores. Encore une fois, de jour comme de nuit, ce pays ne nous a paru que désolation et poudre aux yeux. Ici pas de règles, les gros 4x4 et BMW rutilantes hantent les rues poussiéreuses et désertes, à part quelques monuments d'or et de marbre gigantesques ordonnés par le dictateur fou. Les écoliers sortent de classe en portant l'uniforme national clinquant. Tout le monde travaille dur, cherche à trouver de quoi manger et essaie de ne pas se faire envoyer en prison.










 

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