Transoxiane 2002

En route pour
Ashgabat

 

Ce matin en nous levant nous nous sommes trompés de bouton dans l'ascenseur, et au lieu d'appuyer sur 1 (Rez de chaussée) avons appuyé sur 0 (sous-sol). Nous sommes tombés sur une décharge intérieure: gravats, poutres, ferrailles, vieux sanitaires avaient été jetés directement depuis l'ascenseur!!! Incroyable, cette vision irréelle à l'ouverture de la porte de l'ascenseur nous a bien réveillée et nous avons mis un moment a réaliser que ce que nous voyions n'était pas le rez-de chaussée victime d'une bombe de Bush.

Départ avec 2 nouvelles autos (3ème changement, nous les avons usées!) pour Ashgabat (="ville de l'amour") avec un très très très très long trajet au milieu du désert interminable du Kara Koum ("sable noir"). A mi-chemin nous avons fait la visite d'un mausolée perdu au milieu du désert, dont les environs étaient parsemés de cités millénaires pétrifiées, des Pompéi abandonnées lorsque les fleuves qui les arrosaient se sont taris. Au lieu du Vésuve, ces ruines fossilisées se trouvent aux pieds des montagnes qui font la frontière avec l'Iran et l'Afghanistan. Après de longues heures de route, coupées par une halte sur une "aire d'autoroute" avec une yourte noire, un barbecue à shashliks et un frigo en plein cagnard, nous sommes enfin arrivés sous la porte Ouest d'Ashgabat, monumentale et en marbre blanc, gardée par une statue dorée du Turkmenbashi et surmontée de phrases sacrées du Président Dictateur Général. (*)

Nous sommes passés à travers les quartiers d'habitation qui se résument à des alignements de barres d'immeubles couleur de terre, entrecoupés par des terrains vagues, des pylones à haute tension, des routes vides en plus ou moins bon état que sillonnent des bus Mercedes flambants neuf. Puis nous sommes allés manger dans un très grand restaurant de 200 couverts tous dressés, dans lequel nous étions seuls avec les serveuses et de la musique à fond, habitude que nous avons commencé à prendre dans ce pays à deux vitesses. L'eau du robinet qu'on nous y a servi ne m'a réussie que moyennement cette après-midi!

En sortant du retaurant, nous sommes passés devant le stade olympique gigantesque en marbre du nom de Saparmurad Nyiazov Turkmenbashi. Puis dans le minivan de luxe ramené par le tour opérator basé ici, nous avons traversé la ville en passant par les belles rues de la capitale officielle, celle des nantis, des expatriés, des traficants, de l'argent du pétrole, toute en marbre blanc, verre et or, au palais flambants neufs alignés comme à la parade sans goût ni raison entre des jardins verdoyants fleuris et des fontaines baignées de lumière, dans une débauche d'argent qui est une insulte à la pauvreté du peuple Turkmène. Nous sommes enfin arrivés à notre tant attendu hôtel, l'autre extrême après l'hôtel Sanjar de Mary: Le Sheraton Ak Altyn!!! Hôtel réservé aux expatriés et hôtes de marque de la "République", nous n'en avons pas cru nos yeux en arrivant dans les chambres feutrées, silencieuses et parfaitement arrangées. Tout, y compris la plomberie, était irréprochable. Par la fenêtre dont le verre filtrait la lumière trop forte du soleil, nous avons apercu avec joie et surprise une gigantesque piscine dans les jardins en bas. Ni une ni deux, nous sommes descendus nous prélasser au bord du bassin immobile dont l'azur turquoise était presque aussi beau que celui des coupoles timourides.

Puis après quelques heures de repos, nous avons dû nous arracher à la douceur de ce bord de piscine pour aller visiter Nicée, ancienne capitale du royaume de Mithridate, blottie contre les montagnes iraniennes. Nous avons au passage fait l'expérience d'une autoroute pour expatriés, large ruban de bitume parfait, partant de la capitale jusqu'au grand port pétrolier nommé "Turkmenbashi" sur la mer Caspienne, d'où provient la richesse du tyran. Nous avons bien rit en constatant que cette autoroute finissait au milieu de nulle part une fois la capitale dépassée, obligeant à faire demi-tour pour ne pas s'ensabler. Retour en ville au coucher du soleil, nous sommes passés par une autre porte dorée, gardée par le Grand Turkmenbashi, secondé de statues d'ancêtres menaçants aux sabres effilés. Nous avons alors découvert une mutitude d'autres monuments magnifiques et démesurés: des immeubles de marbres blanc splendides rappelant ceux de Chicago, des bâtiments officiels tous aussi gigantesques qu'inutiles et de mauvais goût, des fontaines lumineuses multicolores. Nous nous sommes arrêtés au pied de l'arche d'indépendance trônant au milieu d'un bassin, pilier de marbre et d'or de 118m de haut portant le symbole du PDG: l'aigle doré à 5 têtes (une par région) enserrant dans ses griffes le serpent à deux têtes (une de chaque côté pour la neutralité). Nous y voyons une imposante fontaine au milieu de laquelle trônait une statue dorée de Turkmenbashi, deux vrais soldats en armes montant la garde devant, immobiles.

Puis Artyk nous a emmené à notre restaurant, le plus top classe de la ville, situé au dernier étage d'une tour en marbre en forme de fusée toute illuminée, et dont les facades étaient recouvertes de cascades. Nous y avons mangé comme des rois, et étions comme d'habitude seuls avec les serveuses, au milieu de toutes les tables dressées. Celà n'était pas pour apaiser notre conscience... Olivier s'est risquer à demander à notre guide pourquoi nous étions toujours seuls, ce à quoi il a répondu que les Turkmènes mangaient plus tard... Nous avons eu ensuite une longue conversation d'au moins 10 phrases avec Artyk, durant laquelle nous avons appris que les attentats du 11 Septembre n'ont pas du tout affecté le tourisme au Turkménistan, et qu'ils avaient toujours autant de touristes. Par exemple, il nous a dit aue nous étions au moins le 3ème groupe cette année!!!

Nous sommes ensuite redescendus pour une petite visite nocturne de l'arche de neutralité, dont l'architecture est à mi-chemin entre celle de la colonne d'indépendance et de notre restaurant-fusée: un énorme cylindre de marbre immaculé et de verre fumé, baigné de lumière, et reposant sur trois colonnes inclinées à 45 degrés, le tout représentant la stabilité du pays, avec au sommet une statue dorée géante du Turkmenbashi avec sa cape, histoire de bien rappeler qui est le patron ici. Nous avons assisté à la relève de la garde, pile à l'heure, alors que l'écran couleur géant qui trônait devant le présidium voisin égrenait les coups, et qu'apparaissait à l'image Turkmenbashi qui en train de regarder sa montre, ouvrant le livre sacré Ruhnama et nous en livrant un passage choisi. Les gardes marchaient au pas de l'oie, suivant les coups du carillon, et firent moults tourniquets et moulinets avec leurs fusils à baïonette... sans la moindre erreur (il valait sans doute mieux pour eux). Hop, la relève s'est plantée là pour 2 heures, et les relevés repartirent. Nous avons aussi assisté à deux arrestations de véhicules roulant trop vite devant les gardes par un policier caché derrière un arbre.

Puis tout est redevenu calme, les rues étant toujours vides, mis à part quelques couples fortunés qui comme nous avaient la chance de pouvoir monter dans l'arche de neutralité par l'ascenceur à 45 degrés. Une fois au sommet, vue imprenable à 360 degrés sur la ville baignée de lumière, le seul son étant celui du dessin animé diffusé par l'écran géant du Presidium, et le vol de criquets attirés par la lumière de l'arche. Nous distinguions en contrebas le monument mémorial du tremblement de terre de 1966: un taureau dont les cornes soulève la planéte au sommet de laquelle une femme tend vers le ciel un bébé doré: Turkmenbashi porté par sa mère. Enfin nous sommes allés nous coucher avecune drôle decas de conscience au luxueux Sheraton, après toutes ces découvertes et sentiments mêlés de surprise et de dégoût d'avoir vu le gâchi dans l'exubérance de telles richesses, insulte jetée à la face d'un peuple volé et tortué.
















 

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